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« Oh non, manquais plus que ça ! »
Une voix hurlait à l’autre bout du fil.
L’ingénieur en chef était au téléphone avec des investisseurs gourmands (pléonasme !)
« Oui je sais le chantier d’autoroute a déjà pris du retard, ce n’est quand même pas ma faute si ce jeune fouineur est allé publier sur internet ces photos de merde !
« … »
« Si ! Si ! J’ai reçu l’injonction aujourd’hui, assignée par motard spécial signé directement du ministre de la culture avec la visite d’un ponte du CNRS ! »
« … »
« Non rien à faire le chantier est arrêté, et probablement pour un bout de temps ! »
« … »
(Enfin un peu de vacances, leurs exigences devenaient gonflantes, et pour une fois ce n’était pas de sa faute pensait in petto l’ingénieur.)
« … »
« Mais non j’y pouvais rien, impossible de surveiller un chantier de30 kilomètres d’autoroute avec le personnel que vous m’accordez ! Déjà que l’inspection du travail commençait à juger qu’on était laxiste avec les mesures de sécurité ! »
« … »
« Vous les avez vu au moins ces photos ? »
Sacrées photos ! Qu’un jeune gamin était allé prendre dans cette grotte révélée par les travaux : des peintures rupestres somptueuses, qui firent un buzz remarquable sur internet, au point qu’un expert en archéologie fit un tel barouf que toutes les autorités, compétentes ou non, voulurent jouer le beau rôle en montrant leur grand soucis des valeurs culturelles et scientifiques.
Silence dans la campagne éventrée par la longue balafre de l’autoroute en construction. Les grosses machines jaunes sont sagement alignées sur un parking à la grande joie des riverains enfin au calme.
Un archéologue immédiatement dépêché sur place, commence ses investigations.
C’est une grotte bien située avec une vue plein sud-ouest face au soleil couchant de Méditerranée ! Et sur le sol une couche de sable gris, et partout, partout, des silhouettes d’animaux, des mains en ombres chinoises dessinées par projection d’ocre, un nouveau Lascaux !
Les fouilles s’organisent en urgence avec toutes les compétences ; Pour une fois, les crédits furent débloqués tout de suite, car l’urgence du chantier fit des merveilles de lobbying ! Feu vert pour terminer ces fouilles le plus rapidement possible !
Mais avant de creuser, il fallait comprendre pourquoi un tel sol dans la grotte.
Pourquoi ce sable au sol avec si peu de débris ? L’analyse revint du laboratoire, beaucoup de sel de mer et des restes marins ainsi que des cendres volcaniques vers la surface ! Si loin du bord ? Les physiciens observèrent la disposition des grains et conclurent que ce sable était arrivé en une seule fois. Les géologues appelés conclurent alors à un tsunami ! Vu le volcanisme et la sismicité de méditerranée, rien d’étonnant, même si les responsables actuels veulent totalement ignorer ce risque.
Donc si le sol de la grotte fut recouvert de façon catastrophique, il a du très probablement protéger des merveilles! Les investisseurs commencèrent à regretter d’avoir poussé le ministre à donner de gros moyens financiers censés accélérer les recherches !
Les archéologues ne furent pas déçus ! Sous le sable la couche d’argile était littéralement pétrie d’empreintes de pas, aucun espace libre ! Des relevés lasers permirent d’identifier et de suivre les pas d’un même individu ! Mais curieusement ils n’étaient pas alignés comme pour une marche mais répétés cote à cote ! Une danse ? C’est donc un lieu de festivités ou de danses rituelliques !
Les fouilles minutieuses révélèrent des restes de flutes, et des arcs mais aucune de ces pointes de flèche si fréquente, pourtant une trace de ce qui aurait pu être un arc avec sa corde marquait la glaise. Ils trouvèrent aussi des traces de nourriture des traces de graines et de coques de noix, mais aucun ossement nulle part. Au moins ils auront fuit le tsunami !
Enfin nous avions la preuve que des hommes préhistoriques organisaient des cérémonies ! Mais en quel honneur ? Les clichés habituels furent émis : pour favoriser la chasse ! Pourtant aucun des animaux présent n’était montré chassé, pas de flèches, pas de lances, pas d’animal blessé…
Un jeune archéologue s’occupait des mains tracées sur le mur et observa une grande main d’homme, une main de femme, encadrant une curieuse tache et au bord un curieux motif répété à intervalles réguliers se terminant par un trait plus marqué… Aucune signification évidente.
Assis sur une dalle à l’entrée de la grotte, il contemple la mer en réfléchissant à toutes ces observations. La journée se termine, la vue est superbe avec ce soleil couchant sur la mer…
Mais vous connaissez les fonctionnaires, quand c’est l’heure de partir ils partent, et personne ne restaient le soir dans la grotte. Pourtant si vous connaissez les archéologues, leur passion les poussent à travailler tout le temps (c’est vrai que ce n’est plus du travail mais du plaisir pour eux !) et ce soir là l’archéologue découvrit sur le mur que l’ombre des parois de la grotte dessinait un motif ressemblant un peu à la ligne qui l’intriguait.
Ils mesuraient le soleil ? Ils auraient déjà eu conscience du temps et des saisons ? Ils repéraient le solstice peut-être ! Il mesura soigneusement les positions du soleil, pourtant cela ne collait pas… et la ligne était un peu différente quand même, comment croire que des semi singes puissent avoir conscience de l’année qui passe ?
Mais le lendemain il appela quand même son copain géologue. Oui c’est possible que l’érosion ait déformé la paroi de la grotte en dissolvant le calcaire, elle devait être plus avancée ici et là… Le trait devenait plus ressemblant à l’ombre supposée.
De plus en plus intrigué il appela son copain astronome. Normal que la position ne corresponde pas exactement, l’axe de la terre bouge avec le temps on appelle cela la précession des équinoxes !
« Alors rapplique j’ai besoin d’un résultat précis ! »
Le géologue calcula l’usure de la paroi calcaire avec des millénaires de pluies, l’astronome la position du soleil dans la préhistoire, un vulcanologue à partir de l’orientation des bancs de sable détermina de quelle direction venait le tsunami et l’analyse des poussières volcaniques permirent d’identifier le volcan en cause.
Avec toutes ces informations recoupées, le résultat devenait logique… Il put être daté avec une précision jamais atteinte !
Voilà le pourquoi de ces nourritures, tous les hivers cette tribu venait fêter l’espoir de la nouvelle année lorsque le soleil enfin repartait vers des jours plus longs, pas une fête de chasse, pas une fêtes de guerre, une fête de paix et de joie, nourris de provisions de fruits secs, avec une danse animée d’arc musicaux, de flutes et peut-être de tambours….
Ils firent des prodiges pour gagner du temps pour attendre l’hiver, jamais une grotte aura autant été analysée, les actionnaires désespérés finirent même par détourner l’autoroute ! Enfin ce soir là de solstice d’hiver, les chercheurs, et les ingénieurs allèrent ensemble regarder le dernier rayon du soleil d’hivers tracer une ombre maintenant reconnue, le dernier tracé celui qui dit qu’à partir de ce soir les jours grandissent vers un nouvel espoir de vie. Ils s’imaginèrent entendre ce jour de fête, ses musiques et danses, chacun consommant ses provisions de fruits secs et chacun traçant sur le mur le reflet de sa main pour dire : « j’étais là ! »
Le tracé ! Venez voir ! Entre la main de l’homme et celui de la femme, la petite tache informe se révélait être l’image du poing fermé d’un enfant nouveau-né, symbole vivant de l’an neuf.
Depuis la nuit des temps, depuis les origines de la vie, ces êtres frustres pas encore hommes nous transmettaient ce message de paix, ce message d’espoir, repris depuis pas toutes les civilisations, récupéré par toutes les religions : même au plus profond de la tristesse des jours froids et courts, renait toujours l’espoir de la vie qui recommence…
Ce soir précis de fin décembre, il y a 2 653 237 années, oubliant la chasse et la guerre, ces êtres à peine sortis de l’animalité, transmettaient déjà leur humanité, ils célébraient la paix et l’amour, ils fêtaient les premiers noëls …