Conte de Noël 2010
Le cadeau de Noël du Diable
Guidé par les reflets rougeoyants ondulant sous les voutes noires, soufflant parmi les fumées et les odeurs de brulé, dans le vacarme funeste des cris et des chocs de lourdes ferrailles, Diablotix, poussait son charriot grinçant, lourd d’anthracite vers le grand brasier.
L’enfer quoi !
Non pas un enfer de cinéma, le vrai, celui dont on menace en vain les enfants pas sages et qui stimule les croyants convaincus.
Diablotix était fatigué, depuis une éternité qu’il poussait ce putain de charriot, dans le trente sixième dessous, il en avait marre, quelle vie infernale que la sienne, surtout depuis que les comptables avaient décidé dans un souci de bonne gestion de numéroter les wagons et d’enregistrer triple exemplaires à l’appui le rendement de chaque préposé au chargement des grands fours aux damnés. Alors depuis la nuit des temps ces numéros devenaient très longs à recopier et ça l’énervait ! En plus c’était Noël, alors présenter ses vœux aux anciens ne l’amusait point.
Et le travail continuait répétitif, il n’en voyait jamais la fin, car l’éternité ça dure ! Mais le pire c’est que plus ça va pas, plus l’enfer se remplissait, et les queues s’allongeaient pires qu’à la poste ! Et jamais personne n’en sortait ! Imaginez une situation si horrible que même le suicide vous empêche de fuir !
Perdu dans ses râleries au milieu des râles, Diablotix se retrouva tout d’un coup dans un sombre calme étrange, que se passe-t-il ? Une petite pièce éclairée de nombreuses bougies, tapissée de tout un fatras de symboles, effigie, emblèmes, et signes cabalistiques de toutes sortes et de tous rites. Debout au centre de pentacles, heptacles, spectracles, (je sais c’est nouveau !) trigones, calvaires, rosaces, hiéroglyphes, idéogrammes, mantras et autres runes et labyrinthes symboliques, Diablotix compris qu’il avait été escamoté d’une invocation satanique émise par une bande de jeunes rigolos mais devenus terrorisés pour l’heure.
C’est vrai qu’ils avaient tout essayé à la fois, ces jeunes gothiques, le sel, le souffre, les pentacles, les formules magiques, croix triangles dodécagones, runes celtiques, poulets vaudous égorgés, invocation à la grande baleine bleue, carrés magiques, des christs retournés, des fatwas, des tikis d’Amazonie, tout à la fois, en se disant que dans le tas ils devraient bien finir par y arriver, et à forces d‘incantations il était enfin là ce satané Diable tant invoqué.
Une forme visqueuse de sueur, fumant encore de tous ses poils, titubant sur ses sabots de boucs, une queue de serpent nerveuse terminée par une flèche rouge, cornes de bouc, bave aux lèvres, ventre rond rayé de noir et de rouge, et ces yeux flamboyants vifs comme du fiel, c’était bien un vrai diable qu’ils avaient enfin attrapé !
Chacun des apprentis sorciers pensait en lui-même : Merde alors c’est laquelle de ces six cent soixante six damnées formules récitées qui a marché, dire que je n’ai rien noté ! Quel con je suis, je ne pourrais jamais recommencer, tout ca parce que j’étais persuadé que cela ne marcherait jamais !
Bon, ce n’est pas tout, mais il faut suivre les règles, car la loi c’est la loi, tout mortel qui invoque le diable à droit à son vœu !
Mais allez, sous l’émotion, face à un diable en chair et en feu retrouver le vœu que vous aviez conçu ! Alors chacun des acolytes exprima en hésitant son souhait face au diable prisonnier des sortilèges :
Bon rien à redire, les vœux classiques, l’un la richesse, l’autre le pouvoir, elle voulait la beauté, lui voulait la force, le suivant voulait vivre longtemps, chacun dit son vœu, sauf le gros Jules qui atterré voulait appeler maman, et la petite marie encore plus affolée dont le vœu le plus sincère était de partir d’ici.
Diablotix souriait dans son esprit malin, enfin il pourrait offrir à Lucifer un cadeau de noël digne de lui suffisamment beau pour qu’en gratitude le grand Satan le change de poste et le mette aux relations extérieures, postes enviés de tous les diables, prêts à toutes les turpitudes pour l’obtenir. Car la loi est formelle, en échange d’un vœu chacun doit vendre son âme au diable Et ces achats sont le fond de commerce de son patron.
Alors d’une voix caverneuse à souhait, Diablotix enregistra, scrupuleusement signé de leur sang, les souhaits de chacun, enfin presque, parce que vouloir être riche, puissant, célèbre ou beau, passe encore, mais accepter de se piquer soi-même pour donner une petite goutte de sang faut pas exagérer !
Seuls trois d’entre eux eurent ce courage ! Le plus petit voulait devenir président de la République, le plus cupide voulait diriger le FMI et toutes les banques, un troisième voulait devenir une espèce de saint homme projet auquel Diablotix ne compris pas grand chose, car voyez vous, en tant que Diable, dûment inscrit au barreau des malins, ce n’était pas la sainteté qui occupait sa vocation première.
Topons là , le contrat magique fut signé du sang des intéressés et du feu de l’émissaire des limbes sur une peau de dragon comme il se doit, dans un grand tourbillon de feu et de tonnerre le diable, retourna à son obscur wagonnet, non sans laisser la pièce dans un état indescriptible.
Incrédules les protagonistes du sortilège, mirent un moment à réaliser que tout cela s’était réellement passé ! Imaginez la colère des hésitants, qui venaient de voir passer sous leur nez la chance de leur vie, mais ils eurent beau tout remettre en place, ajouter force incantations, succubes, malédictions, tirer de leur sommeil secret les pires incantations maléfiques dans tous les grimoires et cultes du monde, rien n’y fit ! Le coup de chance était passé, et comme ils n’avaient rien consigné, ni enregistré, il se révéla inextricable de reconstituer la parfaite configuration satanique nécessaire pour avoir un nouveau diable à leur service…
Enfer :
Grand et vénéré Maître Lucifer, corna tout content un Diablotix ravi, voici pour votre petit Noël trois âmes damnées toutes fraiches que j’ai l’immense honneur de vous offrir, en espérant que vous apprécierez mon service à sa juste compétence et ma soumission reconnaissante ! (Si comme cela, il ne comprend pas ma demande de promotion je veux bien être damné ! heu… c’est déjà fait).
Eden :
Grand et vénéré Maître Jupiter, annonça en pleurs l’Ange secrétaire, nous venons de perdre trois âmes, pourront nous les racheter ? (il va me voler dans les plumes !)
Terrestre :
Le temps passa et le diable tint parole car il est des lois que ni Dieu ni Diable ne peuvent défaire, tiens ne serait-ce que celle de la logique par exemple.
Le plus petit devint omni-président, et se voyait déjà lorgner vers la présidence mondiale, le cupide devint plus riche qu’un banquier et ce n’est pas peu dire ! Et le troisième devint… rien ?
Vous connaissez les contrats commerciaux, vous savez ceux qui sont si bien fait avec les clauses les plus essentielles en tout petits caractères ? Et bien celui qui voulait être sage avait spécifié qu’il voulait l’être vraiment, c'est-à -dire pas un de ceux qui sont des m’as-tu vu dans mes bonnes œuvres et mes miracles, honorés de sa génération et dont les plus fanatiques se précipitent pour baiser les pieds à chacun de leurs déplacements, quasiment canonisés de leur vivant par tout ce qui compte de personnalités honorées bien que pas toujours honorables. Bref pas un de ceux qui laisse croire que le simple fait de l’aider, accorde d’emblée des indulgences pour au moins dix années de paradis !
Et bien non, sur ce contrat là , le petit diable avait trouvé plus malin que lui, car le souhait du jeune précisait qu’il voulait avoir le don d’aider les autres sans que jamais personne ne s’en aperçoive ! Ce qui devrait être le cas de tout vrai saint homme, pas vrai ?
Si bien qu’ayant gagné trois âmes de toute bonne foi (heu est-ce une expression diabolique ?) Au moment d’encaisser celle-ci, se posa un problème, si banquier et président avaient comme d’ailleurs tous leurs semblables, trouvé leurs places de choix en enfer, en revanche le bizarre troisième petit bonhomme posait problème car le Bon Dieu, Jupiter, Jéhovah, Allah, Vishnou, Wotan, Quetzalcóatl, (au diable le nom que vous voulez lui donnez !) ne voulait pas lâcher ce saint, pour une fois qu’il en rencontrait un vrai, c’est déjà une denrée rare mais un comme celui-là pas question de le voir précipité en enfer avec son auréole en or massif, cela détonnerait, quel redoutable précédent!
Mais le Prince des ténèbres, le Diable, Belzébuth, Lucifer ou Méphistophélès ou Satan, (Dieu sait quel nom diabolique voulez-vous lui attribuer!), ne l’entendait pas de cette corne ! Un contrat est un contrat, si celui-ci n’était pas honoré à quoi bon continuer à offrir d’exaucer tous les vœux si les engagements n’ont pas plus de poids qu’une promesse électorale ! Quel meilleur moyen de perdre toute crédibilité et voir disparaitre toutes vocations dans le commerce de la vente des âmes !
Rendez-vous fut donc pris, entre Dieu et Diable, venus avec tout leurs aréopages, en terrain neutre : Au purgatoire, mais malgré le prestige du lieu, la réunion tourna vinaigre, et ces deux pontifes s’invectivaient copieusement, foudre contre géhennes, en vain "expédié au diable" pour l’un, "expédié ad patres" pour l’autre, les vociférations tonitruantes se disputaient le bout de gr… saint ! Dans une volée de plumes, les anges s’enfuirent, cachés dans les nuées, tandis que dans un piétinement de sarabandes paniquées, les diablotins de précipitaient dans leurs antres !
Après force insultes, palabres et vaines négociations, où ils évoquèrent même un partage, mais la demi-auréole ça ne tourne pas rond. Dieu et diable finirent par tomber à bout d’arguments, après sept jours, rituel oblige, ils furent épuisés, mêmes les tout puissants ont leurs faiblesses ! Alors la mort dans l’âme, ils firent venir le saint petit bonhomme pour lui demander, ce que lui, finalement il en pensait, après tout, c’était de lui dont il s’agissait, mais l’idée de démocratie n’était pas dans leurs traditions. Pourtant quand plus rien ne marche, chacun doit s’y résoudre. Quand les chefs ne dégotent plus aucune solution, ils se résignent parfois à écouter leurs sujets n’est ce pas ?
« Nobles maîtres, Vous me demandez de choisir entre enfer et paradis ? Si j’osais, sauf votre respect, pourquoi ne pas tout simplement me laisser sur cette terre qui est parfois si jolie, pour l’éternité ? » De mémoire de perpétuité, nul n’avait jamais vu Dieu et diable d’accord, pourtant ils le furent du moins pour réussir à afficher un même visage de stupeur, mais la logique était imparable, alors ils durent se rendre à l’évidence, « hors cette solution point de salut », « refuser cela c’était se vouer au diable », pensait chacun en son langage !
Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Ni Dieu ni Diable ne touchèrent donc leur cadeau de Noël, et ce sont les hommes qui en profitèrent sans même le savoir.
Car c’est depuis ce jour là que beaucoup de gens de par le monde ont la surprise de voir disparaitre leurs soucis par une aide imprévue venue d’un vieux bonhomme immortel dont personne ne parvint jamais à révéler l’existence.
Et Diablotix me direz-vous ? Bon pour deux âmes gagnées sur trois prévues, il eut quand même droit à une promotion pour son Noël, aujourd’hui, c’est lui le préposé aux comptes des wagonnets !